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SECRET DES AFFAIRES, L’AVENEMENT D’UNE PROTECTION JURIDIQUE CONTROVERSEE

SECRET DES AFFAIRES, L’AVENEMENT D’UNE PROTECTION JURIDIQUE CONTROVERSEE

Plébiscité par le garde des Sceaux comme « un élément puissant d’attractivité de notre droit, partant de notre économie » (Déb.AN du 28 mars 2018), le secret des affaires bénéficie désormais d’un régime général de protection en droit français.

ÉTAT DU DROIT ANTÉRIEUR

Jusqu’alors, la notion n’était pas définie et sa protection ne faisait l’objet que de dispositions éparses.

On la retrouvait, par exemple, à l’article L.311-6 du CRPA relatif au droit de communication des documents administratifs ou aux articles L.621-1 du CPI et L.1227-1 du Code du travail qui sanctionnent dans les mêmes termes la révélation d’un secret de fabrication par un directeur, ou un salarié.

La protection du secret des affaires relevait donc, tantôt des règles de droit commun de la responsabilité civile délictuelle, tantôt, en présence d’une clause de confidentialité, des règles de la responsabilité contractuelle.

Et alors que seuls certains Etats membres s’étaient dotés d’une législation spécifique en la matière (Italie, Pologne, Suède, Grèce et Portugal), la directive européenne 2016/943 du 8 juin 2016, transposée en droit interne par la loi 2018-670 du 30 juillet 2018, ambitionne de fournir un niveau de protection uniforme aux entreprises au sein de l’Union européenne.

ÉTAT DU DROIT POSITIF

Reprenant pour l’essentiel le texte européen, la loi de transposition introduit un régime général de protection du secret des affaires aux nouveaux articles L.151-1 à L.154-1 du Code de commerce

1. Conditions d’ouverture de la protection du secret des affaires

Le nouvel article L.151-1 du Code de commerce se borne à lister, en guise de définition, les trois critères cumulatifs que doit remplir une information pour faire l’objet de la protection au titre du secret des affaires.

Caractère secret

Tout d’abord, l’information doit être secrète. Plus exactement, l’information ne doit pas, en elle-même, ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, être généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité.

Les informations publiques ou connues dans le domaine professionnel concerné ne seront donc pas protégées par le secret des affaires.

Mesures de protection raisonnables

Ensuite, pour se prévaloir de la protection au titre du secret des affaires, l’entreprise devra être en mesure de justifier de l’existence de « mesures de protection raisonnables », compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret.

En l’absence de précision supplémentaire, il appartiendra aux tribunaux de fixer le niveau et la nature de la protection employée par l’entreprise qui souhaite invoquer la protection du secret des affaires.

Par mesure de prudence, les entreprises auront donc intérêt à chercher à protéger l’information par tous moyens. A cette fin, elles restreindront opportunément l’accès de l’information par un mot de passe, apposeront une mention « secret des affaires » sur les documents sensibles, et insèreront des clauses de confidentialité dans les contrats conclus avec leurs salariés, et leurs partenaires.

Caractère commercial

Enfin, l’information devra revêtir une valeur commerciale, « effective ou potentielle », du fait de son caractère secret.

Aux termes de la directive, les informations devraient être considérées comme ayant une valeur commerciale lorsque leur obtention, leur utilisation ou leur divulgation illicite pourrait porter atteinte aux intérêts de l’entreprise concernée.

Ce sera le cas chaque fois que la connaissance de l’information par un tiers sera susceptible de nuire au potentiel scientifique et technique de l’entreprise, à ses intérêts économiques ou financiers, à ses positions stratégiques ou à sa capacité concurrentielle.

En somme, la valeur de l’information fera l’objet d’une appréciation in concreto par les juges, au regard de l’entreprise qui en est légitimement détentrice.

Étendue du champ d’application de la protection

En pratique, de nombreuses informations stratégiques pour les entreprises, qui jusqu’alors ne faisaient l’objet d’aucune protection, pourront entrer dans cette définition.

Par exemple, dans le cadre de l’élaboration d’un produit fini, les études préalables, intermédiaires, voire les pistes abandonnées mais qui permettraient à des concurrents d’avancer significativement dans leurs recherches entreront dans le champ d’application de la protection.

De façon plus générale, le régime général de protection du secret des affaires pourra combler les limites du droit de la propriété intellectuelle parfois volontairement écarté par les entreprises. L’étude commandée par la Commission européenne a dévoilé que grand nombre d’entreprises victimes d’actes illicites renonçaient à agir en justice pour préserver leurs secrets d’affaires (Baker & McKenzie, Study on Trade Secrets and Confidential Business Information in the Internal Market, avr. 2013, p. 145)

Ainsi, celles qui craignaient la publication, indispensable lors du dépôt d’un brevet, de données sensibles, pourront bénéficier de ce régime de protection plus complet.

Enfin, l’objet et le support de l’information sont totalement indifférents à l’ouverture de la protection : le secret des affaires protège toute idée ne relevant pas du simple état de l’art, qu’une entreprise a souhaité protéger de la connaissance des tiers.

Il pourra s’agir, bien sûr, de données technologiques ou de savoir-faire, mais également d’éléments non techniques mais tout aussi stratégiques pour l’entreprise (plans d’action, projets de partenariat ou de cession, études marketing, projets publicitaires, listes de clientèle, stratégies de marché ou toute information économique, financière ou comptable).

2. Cadre procédural de la protection du secret des affaires 

Tout d’abord, la loi définit, en des termes très généraux, les comportements répréhensibles comme « l’obtention, l’utilisation et la divulgation sans autorisation » ou « la production, l’offre ou la mise sur le marché, l’importation, l’exportation, ou le stockage à ces fins » du secret en cause.

Il en résulte que la seule appropriation d’informations confidentielles sera sanctionnée, quand bien même elles n’auraient pas fait l’objet d’une utilisation.

Ensuite, le volet procédural de la loi prévoit, aux articles L.152-1 et suivants du Code de commerce, un arsenal de mesures à la disposition du juge saisi d’une action relative à une atteinte au secret des affaires.

Mesures d’injonction et d’interdiction

Dans le cadre d’une action relative à la « prévention » ou à la « cessation » d’une atteinte à un secret des affaires, la juridiction saisie peut prescrire, y compris sur requête ou en référé, toute mesure proportionnée de nature à empêcher ou à faire cesser une telle atteinte.

Il pourra s’agir, conformément à article L.152-3 du Code de commerce, de mesures d’interdiction de la réalisation ou de la poursuite des actes illicites, de mesures de destruction ou de rappel des circuits commerciaux, ainsi que de mesures de publicité du jugement.

Versement d’une indemnité

Néanmoins, et de façon tout à fait novatrice, l’article L.152-5 du Code de commerce prévoit, en cas de violation non intentionnelle et lorsque l’auteur de l’atteinte est de bonne foi, une alternative à ces mesures.

Dans cette hypothèse, le juge peut décider de remplacer les mesures d’injonction et d’interdiction par le versement d’une indemnité dont le montant est plafonné aux « droits » (à l’image de redevances) qu’aurait dû verser l’auteur de l’atteinte pour exploiter le secret des affaires.

A ce titre, le juge se voit octroyer le pouvoir, non pas de réparer le préjudice subi par la victime de l’atteinte, mais de fixer, a posteriori, le prix que l’utilisateur du secret aurait dû verser pour en faire usage. L’indemnité prévue à l’article L.152-5 se distingue des dommages-intérêts pouvant être alloués conformément à l’article L.152-6 du Code de commerce.

Dommages et intérêts

Par ailleurs, l’atteinte au secret des affaires étant constitutive d’une faute civile qui engage la responsabilité de son auteur, cette indemnité peut se cumuler avec l’allocation de dommages intérêts, prévue à l’article L.152-6 du Code de commerce.

A l’instar des règles existantes en matière de contrefaçon (cf. article L.331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle), la juridiction prend en considération, pour l’allocation des dommages-intérêts :

  • les conséquences négatives de l’atteinte ;
  • le préjudice moral causé à la partie lésée ;
  • les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte au secret des affaires, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte.

A titre d’alternative, et sur demande de la partie lésée, le juge garde toutefois la possibilité d’allouer à la victime une somme forfaitaire.

Procédures « bâillons »

Décriée comme « liberticide » par la presse, la proposition de loi a fait l’objet de débats houleux qui ont conduit le législateur à prévoir des sanctions contre les procédures dilatoires ou abusives.

Dans ces hypothèses, l’article L.152-8 du Code de commerce prévoit le prononcé par le juge d’une amende civile qui ne peut être supérieure à 20% du montant de la demande de dommages et intérêts, ou en leur absence, qui ne peut excéder la somme de 60.000 euros.

Exceptions

Dans le même souci de conciliation des intérêts des entreprises, et de ceux de la presse, la loi de transposition déclare le secret des affaires inopposable dans quatre hypothèses :

  • lors de l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’information (en vue de la protection des journalistes ;
  • lors de la révélation d’une faute, d’un acte répréhensible ou d’une activité illégale (en vue de la protection des lanceurs d’alerte, qui contrairement aux journalistes, devront prouver leur bonne foi pour être protégés) ;
  • lors la divulgation par des travailleurs à leurs représentants ;
  • dans tous les cas où la diffusion est imposée ou autorisée par la loi « aux fins de la protection d’un intérêt légitime».

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En définitive, à défaut d’incarner une véritable révolution juridique, l’intégration dans le droit positif français d’un régime général sur le secret d’affaires rallonge la liste des actifs immatériels de l’entreprise méritant de faire l’objet d’une protection et, à ce titre, est bienvenue.

Le texte devrait en effet permettre aux entreprises de préserver de nombreuses données secrètes et stratégiques que ni le droit pénal, ni le droit de la propriété intellectuelle ne leur permettait de protéger, à condition toutefois d’avoir instauré, en amont, des « mesures de protection raisonnables ».

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