L’ACTUALITÉ
VUE PAR OVEREED

DELAIS DE PAIEMENT INTERENTREPRISES : LE POINT SUR LES REGLES APPLICABLES EN OUTRE-MER

Les délais de paiement interprofessionnels constituent un élément structurant pour les opérateurs économiques.

Outre leur sensibilité sur le plan concurrentiel, les délais de paiement conditionnent la convergence de la circulation monétaire avec les investissements, dépenses et activités réelles des entreprises.

Le sujet revêt une dimension particulière en outre-mer, appelant quelques commentaires et interrogations, exclusivement en ce qui concerne le secteur privé.

1.            La réglementation nationale

Le Code de Commerce « national » encadre les délais de paiement en prévoyant principalement (article L. 441-10) :

  • un délai de paiement supplétif de 30 jours après la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation demandée ;
  • une possibilité laissée aux parties de s’accorder sur un délai de paiement plus long, dans la limite de 60 jours à compter de la date d’émission de la facture ;
  • et une dérogation au délai de 30 jours : un délai maximal de 45 jours fin de mois après la date d’émission de la facture peut être convenu entre les parties, sous réserve que ce délai soit expressément stipulé par contrat et qu’il ne constitue pas un abus manifeste à l’égard du créancier.

Ces règles sont assorties de peines d’amende d’un montant maximal de 75.000€ pour les personnes physiques et 2.000.000 € pour les personnes morales (portées au double si récidive) en cas de non-respect des délais applicables.

2.            Les réglementations d’outre-mer

2.1.        Les dispositions spécifiques du Code de Commerce national

L’article L. 441-13 du Code de Commerce « national » fixe un régime légèrement adapté en matière de livraison de marchandises faisant l’objet d’une importation dans le territoire fiscal de certaines collectivités d’outre-mer (Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion, Mayotte, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint Pierre-et-Miquelon).

C’est en effet la date de dédouanement de la marchandise au port de destination finale et non l’émission de la facture ou la réception de la marchandise qui déclenche le délai de paiement.

A noter cependant que, lorsque la marchandise est mise à la disposition de l’acheteur, ou de son représentant, en métropole, le délai n’est décompté qu’à partir du 21ème  jour suivant la date de cette mise à disposition ou à partir de la date du dédouanement si celle-ci est antérieure.

Il s’agit donc d’un allongement du délai de paiement permettant de ne pas pénaliser l’acheteur ultra-marin – ou du moins certains d’entre eux puisque toutes les collectivités d’outre-mer ne sont pas concernées.

2.2.        Les réglementations de Nouvelle-Calédonie et Polynésie française

La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, jouissant chacune de la compétence normative en matière commerciale, ont institué des règles particulières.

En Nouvelle-Calédonie, les articles Lp. 443-1 et suivants du Code de Commerce applicable localement institués par la loi du Pays n° 2014-7 du 14 février 2014 instaurent le dispositif suivant :

  • le délai de paiement est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation ;
  • le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie peut approuver par arrêté des délais de paiement différents ayant fait l’objet d’un accord interprofessionnel (d’après le site Internet de l’Autorité de la concurrence de Nouvelle-Calédonie, aucun accord de ce type n’aurait été approuvé à ce jour) ;
  • les produits de consommation courante obtenus, fabriqués ou transformés localement figurant sur une liste fixée par le Gouvernement sont soumis à des délais de paiement particuliers :

-pour les produits frais : 10 jours après la quinzaine calendaire pour les entreprises de moins de 10 salariés ; après la fin du mois de livraison pour les autres entreprises ;

-pour les autres catégories de produits : 14 jours après la fin du mois de livraison.

Des peines d’amende administrative sont également prévues par la réglementation locale ; il revient à l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie d’instruire les plaintes et prononcer les sanctions en la matière.

Le 1er février 2021, l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie a rendu un avis très défavorable sur un projet de loi du Pays ayant notamment vocation à allonger les délais de paiements (en convergeant vers le dispositif national permettant d’atteindre un délai de 60 jours). L’Autorité justifie sa position en raison du « risque de fragilisation de l’économie calédonienne » en cas d’allongement des délais de paiement ; elle reconnaît cependant que le délai en vigueur « est difficile à respecter en pratique » et que le délai moyen de paiement serait de l’ordre de 45 jours.

Le sujet est donc assez sensible ; la loi du Pays en question demeure à l’état de projet pour l’instant.

En Polynésie française, la loi du Pays n° 2015-4 du 14 avril 2015 portant réglementation des pratiques commerciales a institué un mécanisme combinant :

  • un délai de paiement supplétif de 30 jours après la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation demandée (identique au droit national) ;
  • une possibilité laissée aux parties de convenir d’un délai de paiement dans la limite de 60 jours à compter de la date d’émission de la facture (identique au droit national) ;
  • une possibilité de réduire les délais de paiement par voie d’accords sectoriels ;
  • un régime particulier pour les fruits et légumes frais, fleurs, viandes et œufs extra-frais produits localement ainsi que le poisson pêché localement : le délai de paiement dépend du chiffre d’affaires mensuel hors taxes réalisé par le fournisseur auprès du distributeur (10 jours sous le seuil de 500.000 XPF HT/15 jours au-delà de ce seuil) ;
  • et un dispositif de pénalités de retard automatiques.

La loi du Pays assortit le non-respect de ces obligations d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 500.000 XPF pour une personne physique et 8.900.000 XPF pour une personne morale.

Ces collectivités ont cherché à instaurer des régimes appropriés aux caractéristiques locales – cela conduit d’ailleurs à s’interroger sur l’intérêt d’ouvrir une possibilité d’adaptation des délais de paiement au profit des collectivités de l’article 73.

3.            Les délais de paiement outre-mer sous surveillance

L’Institut d’émission des départements d’outre-mer (IEDOM) publie annuellement un rapport dédié aux délais de paiement pratiqués par les entreprises et les organismes publics dans les départements et collectivités d’outre-mer relevant de son champ d’intervention.

Dans son dernier rapport (octobre 2020), l’IEDOM souligne que, malgré une tendance à la baisse, les délais de paiement demeurent supérieurs d’une vingtaine de jours à la moyenne nationale (62 jours de chiffre d’affaires contre 44 jours pour les délais clients et 73 jours d’achats contre 51 jours pour les délais fournisseurs) et ne respectent pas la réglementation.

L’IEDOM rappelle sur ce point que « les contraintes et spécificités ultramarines (éloignement par rapport à la métropole, qualité de la desserte maritime et aérienne, délais de paiement du secteur public local et hospitalier) pèsent sur les conditions de paiement. »

Le rapport conclut en abordant la difficulté supplémentaire des effets de la crise sanitaire sur la trésorerie des opérateurs économiques.

Pour sa part, l’Institut d’émission d’outre-mer (IEOM) qui assure le rôle de banque centrale dans les collectivités ayant pour monnaie le franc Pacifique a publié en avril 2021 une étude thématique sur les délais de paiement en Nouvelle-Calédonie.

Cette étude révèle que le délai légal de paiement de 30 jours en vigueur localement « est perçu comme une forte contrainte pour les entreprises locales qui parviennent difficilement à régler leurs fournisseurs dans ce délai lorsque ces dernières sont en moyenne payées en 47 jours. La résistance à la baisse des délais clients s’explique en partie par le comportement des autres acteurs économiques. »

L’IEOM poursuit son constat et évoque, peut-être en réponse à l’avis de l’Autorité de la concurrence, l’opportunité d’un allongement des délais de paiement :

« Les entreprises calédoniennes règlent leurs fournisseurs 3 jours plus tôt que les entreprises métropolitaines et 25 jours plus tôt que les entreprises domiennes (respectivement 51 et 73 jours à fin 2018 où la réglementation permet aux entreprises de s’entendre sur un délai de paiement maximum de 60 jours (ou de 45 jours fin de mois). Allonger le délai légal pourrait permettre de réduire les tensions sur la trésorerie des entreprises calédoniennes dont la charge du crédit interentreprises s’élève à 19 jours de chiffre d’affaires (contre 15 jours pour les DOM et 11 jours pour la France métropolitaine). »

La problématique des délais de paiement constitue un enjeu majeur en outre-mer et pourtant les recours et les sanctions sont relativement rares.

Cela est peut-être en train de changer, sous l’influence d’une surveillance ou régulation accrue des marchés.

L’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie a déjà prononcé plusieurs amendes (de 2.500.000 XPF à 4.000.000 XPF) à l’encontre d’entreprises pour non-respect des règles de délai de paiement.

4.            L’application dans l’espace des règles relatives aux délais de paiement

4.1.        Les règles encadrant les délais de paiement sont reconnues comme étant des « lois de police ».

Cette qualification entraine notamment deux conséquences :

  • il est impossible d’y déroger contractuellement, toute clause contraire étant réputée non-écrite ;
  • elles trouvent à s’appliquer même en présence d’un cocontractant installé à l’étranger.

Sur ce dernier point, il aura fallu du temps pour que la jurisprudence et les autorités compétentes se prononcent de façon tranchée.

Un récent avis de la Commission d’examen des pratiques commerciales (avis n° 21-3 du 2 avril 2021) synthétise et clarifie la portée de la réglementation des délais de paiement.

Il rappelle que la Cour de cassation s’est prononcée sur la qualification de loi d’ordre public (Cass. Com., 3 mars 2009, n° 07-16.527, publié au bulletin et Cass. Com., 8 juillet 2020, n° 17-31.536 à propos de l’application dans l’espace de l’ex-article L. 442-6 du Code de Commerce « national »).

L’avis ajoute :

« La règlementation relative aux délais de paiement semble également relever du droit quasi-répressif dans la mesure où elle comprend des interdictions dont la violation est assortie de sanctions sous forme d’amendes ou d’injonctions. Sa finalité est d’organiser et de discipliner la filière en évitant que les retards de paiement pratiqués produisent une chaine de difficultés de trésorerie à l’amont affectant l’ordre public économique français (Voir, en ce sens, les avis n°09-06 et n°16-01).

Cet ordre public économique français parait particulièrement affecté lorsque les créanciers (fournisseurs) sont français et s’approvisionnent eux-mêmes principalement en France puisque les retards de paiement affecteront leur trésorerie et pourront avoir des conséquences sur les paiements de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement nationale. »

Il détaille ensuite un éventail de situations contractuelles (en fonction du lieu d’implantation des parties et de la loi applicable au contrat) et propose, pour chacune d’elles, une solution en matière d’applicabilité de la réglementation des délais de paiement.

4.2.        Sur le plan international, la problématique du conflit de lois est réglée assez simplement : c’est la réglementation applicable sur le lieu d’exécution de l’obligation qui s’impose aux parties, et donc la loi française « en présence de liens de rattachement suffisants avec la France ».

4.3.        Transposée au niveau infranational, et plus précisément aux relations entre les opérateurs économiques métropolitains ou des départements/collectivités d’outre-mer et ceux qui sont implantés en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie française, la problématique se règle de la même façon.

Dès lors que les délais de paiement en vigueur en Nouvelle-Calédonie sont plus courts que ceux fixés au niveau national (les parties n’étant pas libres d’étendre les délais de paiement jusqu’à 60 jours), cela peut susciter quelques difficultés.

Il y a d’abord une asymétrie selon que la partie calédonienne a la qualité de fournisseur ou de distributeur.

Il y a ensuite un sujet sur l’information et l’application de la réglementation calédonienne à un fournisseur situé hors du territoire.

Il y a également une problématique concurrentielle puisque, en pratique et comme le souligne l’IEOM, les entreprises locales paient généralement plus rapidement que les autres.

Il y a, enfin, une problématique procédurale : l’Autorité de la concurrence de Nouvelle-Calédonie a, certes, compétence pour trancher les litiges relevant du champ d’application du Code de Commerce dans sa version applicable localement mais cette autorité administrative indépendante ne jouit pas des mêmes prérogatives que les juridictions et une entreprise située hors du territoire pourrait bien identifier quelque argument pour contester des poursuites ou une sanction prononcée à son encontre par l’Autorité.

De même, une entreprise de Nouvelle-Calédonie peut-elle valablement saisir l’Autorité « nationale » de la Concurrence pour solliciter des sanctions à l’encontre d’opérateurs situés hors du Territoire ayant méconnu le délai de paiement calédonien de 30 jours ?

Au final, la thématique des délais de paiement fournit un exemple topique de domaine dans lequel il est primordial d’adapter la réglementation aux circonstances locales tout en assurant la cohérence des différents dispositifs au plan national.

Cette cohérence repose sur une palette d’actions et démarches allant de l’information à la mise en place de dispositifs efficaces de responsabilisation des entreprises, notamment par voie de contrôle et, le cas échéant, de sanction.

Une évolution des réglementations nationale et « locales » en présence permettant de fluidifier leur articulation serait un atout de cette quête de cohérence et d’efficacité.

Il est vrai que jusqu’ici, la problématique n’a été appréhendée qu’a minima et uniquement pour certaines localités d’outre-mer (article L. 441-13 du Code de Commerce « national »).

Le cabinet OVEREED AARPI accompagne les opérateurs économiques dans l’ensemble de leurs projets ainsi que pour le règlement de leurs différends, en France métropolitaine et en outre-mer. 

CRÉATION D’ENTREPRISE, NOUVELLE ACTIVITÉ ?

Besoin d’un conseil ou d’un expert, prenez contact avec l’un de nos avocats.
Il pourra répondre à vos questions et vous accompagner dans votre démarche.

CONTACTEZ-NOUS