L’ACTUALITÉ
VUE PAR OVEREED

LA LOI MARCHE DU TRAVAIL ET LA TOUTE NOUVELLE « PRESOMPTION » DE DEMISSION EN CAS D’ABANDON DE POSTE

Il était, jusqu’à présent, acquis que l’abandon de poste par le salarié n’était pas assimilable à une démission. De jurisprudence constante la démission ne peut en effet résulter que d’une manifestation claire et non équivoque de volonté du salarié de rompre le contrat de travail (Cass. Soc. 21 octobre 2020 : n°19-10635).

En revanche, l’abandon de poste pouvait constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement. A charge alors pour l’employeur d’en tirer les conséquences et de licencier le salarié après avoir mené la procédure adéquate (Cass. Soc. 10 juillet 2002, n°00-45.566).

La loi dite « Marché du travail », parue au Journal Officiel le 22 décembre 2022, vient bousculer cet ordre établi en créant une présomption de démission dans l’hypothèse où le salarié abandonne volontairement son poste et ne reprend pas le travail après mise en demeure de son employeur.

Retour sur les principales caractéristiques de ce nouveau dispositif.

  1. Les conditions d’application de la présomption de démission issues du nouvel article L. 1237-1-1 du code du travail

Le nouvel article L. 1237-1-1 du code du travail (dans sa version en vigueur depuis le 23 décembre 2022, issue de la loi n°2022-1598 du 21 décembre 2022 – art. 4) dispose désormais :

« Le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, dans le délai fixé par l’employeur, est présumé avoir démissionné à l’expiration de ce délai.

Le salarié qui conteste la rupture de son contrat de travail sur le fondement de cette présomption peut saisir le conseil de prud’hommes. L’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui se prononce sur la nature de la rupture et les conséquences associées. Il statue au fond dans un délai d’un mois à compter de sa saisine.

Le délai prévu au premier alinéa ne peut être inférieur à un minimum fixé par décret en Conseil d’Etat. Ce décret détermine les modalités d’application du présent article. »

  • Un abandon de poste volontaire par le salarié

L’abandon de poste est caractérisé par le comportement du salarié qui quitte volontairement son poste de travail sans motif légitime et sans autorisation de l’employeur ou qui s’absente de manière prolongée ou répétée sans justificatif pendant ses heures de travail.

Dans le cadre de l’examen de la loi, le Conseil Constitutionnel est venu préciser que l’abandon de poste ne revêtira pas un caractère « volontaire » lorsqu’il sera justifié par un motif légitime, tel que des raisons médicales, l’exercice du droit de grève, l’exercice du droit de retrait, le refus du salarié d’exécuter une instruction contraire à la réglementation ou encore son refus d’une modification unilatérale d’un élément essentiel du contrat de travail. (Conseil Constitutionnel 15 décembre 2022 (n° 2022-844 DC))

Dans toutes ces situations d’absences « légitimes », le texte ne trouvera pas à s’appliquer.

  • Une mise en demeure préalable de l’employeur

Pour que l’employeur puisse envisager de se prévaloir de la présomption de démission, il devra au préalable mettre en demeure le salarié de reprendre ses fonctions et/ou de justifier son absence et fixer le délai au-delà duquel, sans réponse de sa part, le salarié sera présumé démissionnaire.

La mise en demeure formulée par l’employeur devra être adressée au salarié par lettre recommandée avec accusé de réception ou, selon le texte, par lettre remise en main propre (ce qui parait toutefois peu compatible avec la situation d’un salarié absent et ne donnant plus de nouvelle).

Le délai accordé au salarié pour reprendre son activité et justifier son absence sera précisé par l’employeur, sans pouvoir être inférieur au délai fixé par décret du Conseil d’Etat, décret qui à cette date n’est pas encore paru.

A la suite de cette mise en demeure :

  • soit le salarié reprend ses fonctions, dans cette hypothèse une sanction disciplinaire pourra selon les circonstances être envisagée, mais il n’y aura pas de présomption de démission pour la période non travaillée ;
  • soit le salarié ne justifie pas de son absence et ne réintègre pas ses fonctions à l’expiration du délai imparti, il sera alors présumé avoir démissionné.

Demeure la question de l’information ou de la notification éventuelle qui incomberait à l’employeur. Sur ce point les textes sont muets. La seule mise en demeure indiquant le délai à compter duquel le salarié sera considéré démissionnaire pourrait suffire.

Comme pour tout mode de rupture, l’employeur est dans l’obligation de remettre au salarié ses documents de fin de contrat : certificat de travail, reçu pour solde de tout compte et attestation Pôle emploi où apparaitra comme motif de rupture « démission ». Il est probable qu’une modification de la DSN intervienne pour intégrer ce nouveau mode de rupture.  

  • Une présomption simple pouvant être renversée

Le salarié ainsi considéré comme démissionnaire par l’employeur pourra toujours contester la rupture et saisir le Conseil des prud’hommes dans un délai de douze mois (Article L1471-1 du code du travail).

L’affaire sera portée directement en Bureau de jugement. Il est prévu que le Conseil statue au fond dans un délai d’un mois à compter de sa saisine (contrainte temporelle que le Conseil de prud’hommes sont cependant rarement en capacité de respecter).

La contestation pourra vraisemblablement porter sur le respect de la procédure de mise en demeure (formes et délai), mais aussi sur le caractère légitime de l’absence (notamment dans le cas où le salarié imputerait cette absence à un comportement fautif de l’employeur).

Le juge se prononcera sur la nature de la rupture ainsi que sur les conséquences qui en découlent. Il pourra donc confirmer la démission ou la qualifier de licenciement sans cause réelle et sérieuse, voire nul si le motif à l’origine de la rupture le permet, ouvrant droit dans ce cas à une indemnisation pour le salarié.

  1. Les conséquences de cette présomption de démission

En assimilant l’abandon de poste à une démission, le salarié considéré comme démissionnaire se voit privé de ses droits à l’assurance chômage (ce qui n’était pas le cas dans l’hypothèse d’un licenciement pour abandon de poste où le salarié pouvait prétendre à cette indemnisation).

Pour rappel, le bénéfice de l’assurance chômage est soumis à une perte involontaire de son emploi par le salarié, à l’inverse d’une démission qui suppose que le salarié est à l’initiative de la rupture

  1. L’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions

La loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022 dont est issu le nouvel article L 1237-1-1 du code du travail est entrée en vigueur le lendemain de sa publication au journal officiel, soit le 23 décembre 2022.

La présomption de démission ne trouve donc logiquement à s’appliquer qu’aux abandons de postes survenus postérieurement à la publication de la loi au journal officiel.

Sa mise en œuvre reste néanmoins subordonnée à la publication du décret en Conseil d’Etat qui déterminera les modalités d’application du nouvel article L1237-1-1 du code du travail, notamment le délai minimal laissé au salarié pour justifier de son absence ou reprendre son poste.

En l’état donc et pour l’heure, il n’est pas possible pour un employeur de se prévaloir (sans risque) de ces nouvelles dispositions et de les mettre en œuvre.

En outre, comme toute nouvelle disposition qui change l’ordre établi (et ici le changement est assez radical), seules la pratique et l’analyse des juges permettront de connaitre avec précision les limites et risques de cette procédure.

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